Artiste accompli, Alfred Stevens (1823-1906) a connu une illustre carrière, bénéficiant d’un important mécénat, notamment de la part de la famille royale belge. Après ses débuts au Salon de Paris en 1853, Stevens est devenu une figure familière de la haute société du Second Empire. Il s'entoure de personnes influentes telles que la princesse Mathilde (1820-1904) et Jérôme Bonaparte (1784-1860), le plus jeune frère de Napoléon (1769-1821). L’étalement de richesse qui caractérise cette période a fortement contribué à façonner le style de l'artiste, et ce même après la chute du Second Empire.
Le présent tableau, Fédora, a été peint dans les années 1880, à une époque où Stevens connaissait déjà une renommée internationale, suscitant l'intérêt des collectionneurs et personnes d’influence en Europe et en Amérique, à l’image du marchand Georges Petit (1856-1920). En 1900, Stevens est mis à l’honneur par l'école des beaux-arts de Paris qui lui consacre la première exposition rétrospective jamais consacrée à un artiste vivant.
Stevens a marqué l’histoire de l’art en tant que peintre de l’image de la femme moderne du XIXe siècle, jouant sur ses codes vestimentaires et préoccupations mondaines. Théophile Gautier (1811-1872) a d'ailleurs décrit ses portraits comme des "poèmes des femmes du monde". Ses œuvres ont une dimension poétique, due en grande partie à l'inclusion minutieuse du symbolisme et à sa maîtrise académique.
Il n'est donc pas surprenant que Sarah Bernhardt (1844-1923) ait été si souvent représentée par Stevens, celui-ci ayant peint l'actrice au moins cinq fois. Le plus connu de ces tableaux est celui que nous présentons, Fédora, de 1882. En effet, qui pouvait mieux incarner l'image contemporaine de la femme que Sarah Bernhardt, la plus moderne des femmes modernes ? En 1886, Stevens écrivait : "On n’est pas un modernise parce qu’on peint des costumes modernes. Il faut avant tout que l’artiste épris de modernité soit imprégné de sensations modernes" (A. Stevens, Impressions sur la peinture, Paris, 1886, p. 34). Ce passage montre la conscience que l'artiste avait de lui-même en créant ses images du monde moderne. Nous pouvons ainsi comprendre ce qui rend ces images si puissantes : ce n'est pas seulement le travail des vêtements et de l'esthétique, c'est l'émerveillement et l'intrigue avec lesquels Stevens peint ces femmes. Il les crée plus grandes que nature, indépendantes et puissantes, imprégnant simultanément ses tableaux d'un sentiment traditionnel de grandeur et d'un sentiment de changement. La société est à l'aube d'une nouvelle ère.
Sarah Bernhardt est souvent considérée comme la première célébrité au monde. L'actrice française et sa personnalité ont capté l'intérêt des gens, quelle que soit leur origine. Elle était louée pour son jeu, son chant et son caractère. En effet, la rumeur veut qu'elle se promenait avec un alligator appelé Ali-Gaga qui buvait du champagne, et dormait dans un cercueil. En 1882, Fédora, une pièce de Victorien Sardou (1831-1908), est jouée au théâtre du Vaudeville à Paris, avec Bernhardt dans le rôle principal qui avait été écrit pour elle. La pièce est acclamée par la critique et immortalisée par ce fameux chapeau d’homme en feutre à larges bords porté par l’actrice que l’on appellera le "fédora". Bien que le tableau ci-présent soit probablement le portrait le plus connu de l'actrice, Sarah Bernhardt a également été peinte par d'autres artistes importants de l'époque, notamment Hans Makart (1840-1884) en 1881, Julien Bastien-Lepage (1848-1884) en 1879 et Louise Abbema (1853-1627) en 1875. Un portrait similaire de Jules Bastien-Lepage a été vendu dans le cadre de la collection d’Ann & Gordon Getty chez Christie's à New York le 20 octobre 2022 (lot 55) pour un record mondial de 2 280 000 $.
Bernhardt et Stevens entretenaient une étroite relation : cette proximité entre le modèle et le peintre, pour laquelle on peut même parler d’intimité, est perceptible dans ce tableau. Bernhardt regarde directement le spectateur, tout en inclinant coquettement la tête. Cette relation s'explique par le fait que Stevens a donné des cours d'art à Bernhardt. Dans les années 1880, l'artiste voulut rendre à la communauté artistique ce qu'elle lui avait donné et assurer son propre héritage, ce qu'il fit en enseignant dans un atelier proche du sien. On a souvent supposé que la relation entre l'actrice et l'artiste était plus complexe et les lettres échangées entre eux, aujourd'hui en possession de la veuve du petit-fils du peintre, suggèrent qu'ils étaient certainement amants.
Une caractéristique frappante du présent tableau est la variété des effets de matière que l'artiste donne à voir, en passant des textures presque transparentes de la robe au rendu satiné de l'éventail japonais. Stevens était un maître de la couleur, juxtaposant des tons subtils, clairs à des couleurs vives et audacieuses. Dans notre tableau, le bleu des fleurs est habilement intégré de manière à faire ressortir la couleur des yeux de Bernhardt.
La composition du tableau, ainsi que le travail de la couleur, évoquent également Symphony in White, No. 2 (1864 ; Tate, Londres, no. inv. N03418) de James McNeill Whistler (1834-1903). L'œuvre de Whistler représente une femme, Joanna Hiffernan (1843-après 1903), vêtue d'une robe blanche et tenant un éventail japonais. Cette œuvre reconnue de Whistler comporte également des aplats de couleurs vives dans les pétales des fleurs qui rappellent Fédora. Les œuvres présentent de nombreuses similitudes. Ce qui les différencie, c'est la présentation du modèle. Hiffernan semble renfermée et contemplative : elle est le sujet du regard du spectateur, un trésor à contempler, comme le vase sur la cheminée. À l'inverse, Stevens présente Bernhardt dans toute sa splendeur, comme un personnage pétillant et énigmatique. Bien que Stevens la représente sous les traits de Fédora, nous pouvons percevoir le charisme de Bernhardt imprégner la toile. Stevens admirait certainement Whistler, et pourtant le présent tableau confère une présence qui semble tout à fait unique.
Cette œuvre de Stevens a été exposée à de nombreuses reprises depuis 1882, notamment à l'Exposition universelle de 1889, ainsi que lors de la rétrospective de l'artiste en 1907, et a reçu de multiples éloges dans la littérature et dans la presse. La provenance du tableau confirme l'importance de l'œuvre et il est particulièrement émouvant que ce tableau ait figuré dans la collection de Millicent A. Rogers (1902-1953), une femme tout aussi inimitable et emblématique.
Bien que le motif du papillon évoque typiquement l'éphémère, Stevens immortalise avec ce tableau la jeunesse et la beauté de sa "Divine Sarah", ainsi que sa propre maîtrise, à un moment où son legs artistique était au premier plan de ses préoccupations.
Related Articles
Sorry, we are unable to display this content. Please check your connection.
You have agreed to be bound by the Conditions of Sale and if your bid is successful, you are legally obliged to pay for the lot you have won. The purchase price for a successful bid will be the sum of your final bid plus a buyer’s premium, any applicable taxes and any artist resale royalty, exclusive of shipping-related expenses.
Condition report
A Christie's specialist may contact you to discuss this lot or to notify you if the condition changes prior to the sale.
The condition of lots can vary widely and the nature of the lots sold means that they are unlikely to be in a perfect condition. Lots are sold in the condition they are in at the time of sale.
Français
Rapport rédigé en anglais par Simon Parkes Art Conservation le 3 octobre 2022 :
Le tableau a fait l’objet d’un ancien rentoilage à la colle. Le châssis est d’origine. La matière picturale est stable et est joliment vernie. Elle a probablement fait l’objet d’un rentoilage. Quelques petites retouches sont visibles autour des yeux et de la bouche, dans l'ombre sous le nez et sur le pourtour du menton lorsque l'œuvre est examinée sous une lumière ultraviolette. Ces retouches peuvent avoir été faites pour des raisons esthétiques plutôt que pour remédier à une faiblesse ou à une perte réelle de la couche picturale. Il y a quelques très petites restaurations dans la partie supérieure de l'arrière-plan. Il ne semble pas y avoir d'autres retouches. Cette œuvre est en très bon état et peut être accrochée telle quelle.
English
Report made by Simon Parkes Art Conservation on 3 October 2022:
This work on canvas has an old glue lining. The stretcher is original. The paint layer is stable and attractively varnished. It is probably clean. A few small specks of retouching can be seen around the eyes and mouth, in the shadow beneath the nose, and around the perimeter of the chin when the work is examined under ultraviolet light. These retouches may have been applied for cosmetic reasons rather than to address actual weakness or loss in the paint layer. There are a few very small, isolated spots of retouching in the upper background. There do not appear to be any other retouches. This work is in very good condition and should be hung as is.
Print Report
Cost calculator
Enter your bid amount for an estimated cost
Bid amount
Please enter numbers onlyAmount must be higher than the starting bidAmount must be higher than the current bid