LAMARTINE, Alphonse de (1790-1869), Lettre autographe signée à Charles Nodier

Je ne sais par quel nom répondre à celui que vous me donnez. Je voudrois vous donner celui d’ami. J’en ai pour vous les sentiments innés comme vous en avez eu pour moi les procédés avant de me connoitre...

LAMARTINE, Alphonse de (1790-1869). Lettre autographe signée "Alph. de Lamartine" à Charles Nodier. Saint-Point, 29 décembre 1823. 2 pages et demie in-8 (234 x 185 mm) sur un feuillet remplié, suscription, cachet de cire rouge aux armes de Lamartine et cachet postal. Encre brune sur papier.
Traces de pliures et d'un montage ancien.

Belle lettre amicale dans laquelle le poète regrette le choix fait par son libraire Canel, pour une préface, d'un article trop élogieux donné par Nodier sur Lamartine. Il lui demande alors quelques lignes moins grandiloquentes : "J’étais aussi ignorant que vous de tout ce qui concerne la préface. Malade moi-même et hors d’état de m’occuper de vers ni de prose j’avais répondu à mon libraire de faire ses éditions comme il l’entendrait et de mettre les avertissements et Préfaces qu’il jugerait convenables. Il a bien choisi à ce qu’il me semble en prenant le superbe article que vous m’avez consacré dans la Quotidienne. [...] Je crois qu’il ne soit cependant inconvenant de mettre ou de laisser mettre de pareils éloges à la tête d’une édition à laquelle je serais sensé avoir concouru. J’ose donc vous supplier de vouloir bien modifier l’expression de vos bontés pour moi. J’écris à M. Canel de vous demander seulement quelques lignes d’avertissement..."
Il lui promet en retour de lui écrire quelque chose, mais pas dans l'immédiat : "Je vous demanderai moi-même la permission de vous dédier un morceau, le moins indigne de vous possible. Dans ce moment-ci je ne me sens pas capable de faire quelque chose qui vous fît honneur non plus qu’à moi, le vent de la faveur populaire ne souffle pas en ma faveur, je suis un peu effrayé et dégoûté par des critiques un peu plus sévères qu’il ne les faut à nos imaginations poétiques. La froide haleine de l’injustice glace les transports de la pensée, mais la nature est plus forte, elle finit par l’emporter et l’on chante encore. Quand ce beau temps reviendra les premiers fruits vous seront consacrés..."
Enfin, Lamartine serait enchanté d'accueillir Nodier dans son château de Saint-Point, en Bourgogne. "Venez au printemps prendre le lait et l’air de nos collines. Je vous offre du repos, du silence, de la solitude, de l’amitié et des conversations sans suite le soir : acceptez tout cela pour votre santé et pour notre plaisir. Je ne compte guère aller à Paris de cette année. Mille raisons s’y opposent. Je le regretterai beaucoup moins si vous nous donnez quelques semaines ou quelques mois."

Beautiful letter where Lamartine laments his publisher's choice of using a complimentary article written by his correspondent for a preface.

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St Point près Mâcon 29 décembre 1823

Je ne sais par quel nom répondre à celui que vous me donnez. Je voudrois vous donner celui d’ami. J’en ai pour vous les sentiments innés comme vous en avez eu pour moi les procédés avant de me connoitre : acceptez-le donc je vous prie, il ne sera jamais profané par nous. J’étais aussi ignorant que vous de tout ce qui concerne la préface. Malade moi-même et hors d’état de m’occuper de vers ni de prose j’avais répondu à mon libraire de faire ses éditions comme il l’entendrait et de mettre les avertissements et Préfaces qu’il jugerait convenables. Il a bien choisi à ce qu’il me semble en prenant le superbe article que vous m’avez consacré dans la Quotidienne. Vous êtes le seul qui m’ayez cette fois-ci traité avec trop de faveur. Je crois qu’il ne soit cependant inconvenant de mettre ou de laisser mettre de pareils éloges à la tête d’une édition à laquelle je serai sensé avoir concouru. J’ose donc vous supplier de vouloir bien modifier l’expression de vos bontés pour moi. J’écris à M. Canel de vous demander seulement quelques lignes d’avertissement. Bien loin de redouter votre nom je regarderai comme un bonheur et comme une gloire qu’il accompagne et soutienne le mien dans cette occasion et dans mille autres. Vous lui avez donné par votre suffrage un lustre que je voudrois quelque jour faire rejaillir sur le vôtre. Je vous demanderai moi-même la permission de vous dédier un morceau, le moins indigne de vous possible. Dans ce moment-ci je ne me sens pas capable de faire quelque chose qui vous fît honneur non plus qu’à moi, le vent de la faveur populaire ne souffle pas en ma faveur, je suis un peu effrayé et dégoûté par des critiques un peu plus sévères qu’il ne les faut à nos imaginations poétiques. La froide haleine de l’injustice glace les transports de la pensée, mais la nature est plus forte, elle finit par l’emporter et l’on chante encore. Quand ce beau temps reviendra les premiers fruits vous seront consacrés. Voici en attendant les quatre vers que vous désirez pour votre exemplaire. Je rougis du prix que vous y mettez comme Bibliomane, mais j’en suis flatté comme ami.
J’apprends avec chagrin que vous avez aussi été malade. Moi qui le suis toujours je compatis mieux qu’un autre à ces tristes conditions de notre nature. Reposez-vous. Venez au printemps prendre le lait et l’air de nos collines. Je vous offre du repos, du silence, de la solitude, de l’amitié et des conversations sans suite le soir : acceptez tout cela pour votre santé et pour notre plaisir. Je ne compte guère aller à Paris de cette année. Mille raisons s’y opposent. Je le regretterai beaucoup moins si vous nous donnez quelques semaines ou quelques mois.
Adieu Monsieur et cher ami, Croyez à un sentiment né d’une heure de connoissance personnelle et d’une longue admiration pour votre caractère et vos talents, et conservez-moi un souvenir qui me sera toujours cher.
Alph. de Lamartine